Vaughan Oliver – Anarchie dans les archives

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En 2013, Tony Aston signait « Facing the other way. The story of 4AD », un formidable ouvrage retraçant la genèse et le développement d’un des plus raffinés labels post-punk de la scène britannique, 4AD. La génération d’adolescents amateurs de musiques indés qui s’est épanouie et forgée sa propre culture après la première vague punk a été fortement marquée par ce label aux pochettes, flyers et posters hors-normes, construisant un « art de l’obscurité » sans égal. Aux manettes du label, il y avait Ivo Watts-Russell, dénicheur de talents avéré (Modern English, Pixies, Cocteau Twins, Dead Can Dance, Lush…) mais aussi manager visionnaire qui avait parfaitement assimilé la théorie médiatique de McLuhan : « le support est le message », autrement dit un groupe, aussi bon soit-il, ne pourra qu’être sublimé par de belles pochettes de disques. Il confia alors le développement de l’identité esthétique de 4AD à un duo de jeunes designers réunis sous le nom v(23) ou 23Envelope, Vaughan Oliver et Chris Bigg. Tout au long des décennies 80 et 90, le duo 4AD/v(23) allait être la réponse londonienne au « culte du sans nom » initié par l’entreprise mancunienne Factory/Peter Saville et le séminal album de Joy Division « Unknown pleasures ».

«Vaughan Oliver: Archive» est un ouvrage en deux volumes (insérés dans un coffret cartonné sérigraphié) qui célèbre les archives personnelles de Vaughan Oliver. Car au-delà du Vaughan Oliver designer, on découvre un archiviste maniaque : alors que la plupart des agences de design graphique vident leurs corbeilles chaque soir, Oliver a conservé rebuts de projets, tests d’impression, essais ratés, work in progress etc. Il dévoile aujourd’hui un aperçu de ce matériel et permet de commencer à comprendre les mécanismes de construction des visuels de 4AD à la patte immédiatement reconnaissable.

«VO:A» est en fait deux livres bien différents. Le premier (« Matériaux et fragments ») s’articule autour d’une série de thèmes – couleur, typographie, corps, mystère, etc. Elle contient également une sélection de ses encarts presse au design exquis – la plupart étant devenus invisibles depuis le jour de leur publication dans la presse musicale. On y découvre les studios v(23) vus de l’intérieur, dans un amoncellement de tirages, rouleaux imprimés, posters, journaux découpés, scotchés, avec le sentiment permanent d’errer dans une caverne du graphisme analogique d’un autre temps.

Le second livre (« Résidus et désirs ») présente une sélection des empreintes de transfert photomécanique (PMT) utilisées par Oliver comme bases de plusieurs de ses créations les plus célèbres. Les PMT étaient générées à l’aide d’un Repromaster d’Agfa-Gevaert, appareil de reproduction de qualité photographique mais d’un usage quasi aussi simple que la photocopieuse (une reproduction se faisait en 5-6 minutes, développement compris). Outil indispensable de toute agence graphique jusqu’au milieu des années 80, il va tomber en désuétude avec l’arrivée du Macintosh d’Apple et des scanners numériques. Certaines de ces empreintes PMT sont connues puisqu’elles ont été intégrées dans des pochettes d’albums célèbres – d’autres (comme son test de lettrage pour un projet abandonné de Led Zeppelin) n’ont jamais été vues en dehors du studio v(23). C’est ce second volume qui me parait ainsi le plus précieux : imprimé en noir et blanc, il conserve le feeling des années xerox tout en dévoilant les secrets de fabrication de Vaughan Oliver via son usage immodéré et trivial du Repromaster. Apprenant par cœur le fonctionnement de la machine, y compris d’un point de vue mécanique, Oliver n’a eu de cesse de la pervertir pour en repousser les limites. Sa règle créatrice première était qu’il n’y en avait pas. Jouant en permanence sur les focales du Repromaster, abusant du flou, des torsions et des plans superposés, il n’aura de cesse de suggérer plutôt que décrire, inscrivant son travail dans la philosophie photographique de Robert Doisneau, un des artistes qui aura le plus influencé Oliver.

Le livre, conçu par Spin et écrit par Adrian Shaughnessy, présente de nombreuses œuvres inédites, notamment des interviews approfondies avec Oliver et des contributions de Chris Bigg, son complice de toujours. Indispensable pour les fans de 4AD, il trouvera aussi un fort intérêt auprès des étudiants en design.

Extraits du livre 2 « Remnants and desires », essai de logo pour l’exposition et le catalogue « Exhibition / Exposition » , Nantes, CRDC, 1900.

 

« Vaughan Oliver: Archive » est publié par Unit Editions à 900 exemplaires.

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