Fanzine BETA, le troisième œil de Stéphane Bouillet

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Le troisième œil, dans l’ésotérisme, est l’œil de la connaissance, situé au 6e chakra (hindouisme et bouddhisme), un point de focalisation pour la méditation (taoïsme et pratiques méditatives). Son ouverture apporterait perceptions nouvelles et extra-sensorielles… Le troisième œil est un caractère commun des personnages de Stéphane Bouillet, son auto-représentation notamment, qui, planté au milieu du front, n’hésite pas à se transformer en bouche et discuter voire contester les choix/visions du personnage. L’univers graphique de Stéphane Bouillet se pose quelque part dans un lointain Orient, entre Soleil Levant et confins du Triangle de Corail. Ancien vétérinaire, il a plaqué ce métier pour s’adonner pleinement à l’illustration et à la bande-dessinée « lassé de passer ses journées à castrer des chats de ville ». Il puise son inspiration de ses voyages au Japon, aux Philippines, en Indonésie, à Bornéo, et se met en scène dans un perzine expérimental, BETA, dont il a déjà publié 8 numéros en un an (format A5, 48 à 60 pages, tirage de 120 exemplaires numérotés à la main).

Odyssée existentielle, quête personnelle où émerge un syncrétisme philosophique inspiré du folklore japonais (les yōkais du monde invisible, notamment), le récit ne manque pas d’autodérision et marque par sa franchise, ses considérations paradoxales (« Quand on veut protéger la vie sauvage, doit-on céder à la tentation de nager au plus près des requins-baleines ? »). Graphiquement, le travail en contraste noir et blanc évoque Charles Burns et les personnages surréalistes de Daniel Clowes auxquels les masques du théâtre Nô apportent une touche à la fois grotesque et effrayante. Mais le N&B n’est pas exclusif, chaque nouvelle ayant son propre style graphique (Filipino est davantage en lavis) apportant une ambiance propre à l’histoire. La règle de ce fanzine est qu’il n’y en a pas, ou du moins qu’elles peuvent évoluer au cours du récit affirmant la dimension laboratoire d’expérimentation revendiquée dans le premier numéro de ce projet éditorial.

En attendant un possible 9e numéro de BETA, Stéphane Bouillet prépare actuellement une BD sur Bornéo. Rencontre avec l’auteur à l’occasion du festival Quai des Bulles de Saint-Malo.

Stéphane Bouillet, Quai des Bulles, 13 octobre 2018


Stéphane, tu présentes BETA comme un laboratoire graphique…

Je considère le fanzine comme une prépublication en attendant une publication définitive, donc chaque dessin est un laboratoire qui me permet d’expérimenter, de mettre à plats des erreurs ou des limites techniques et de les corriger. Par exemple, représenter les énergies ou l’invisible nécessite cette phase d’expérimentation avant de trouver le bon mode d’expression. Le fanzine BETA est une première phase d’auto-publication qui permet cela. La base scénaristique est en partie autobiographique et j’y transmets mes visions, mes fantasmes, ma captation de l’invisible.

Comment s’organise la production ? Tu dessines in situ lors de tes voyages, ou a posteriori ?

Je suis revenu du Japon avec des crayonnés déjà encrés, uniquement du crayonné des Philippines, de Bornéo et d’Indonésie. A mon retour, j’avais environ 300 pages de crayonnés qui ont servi de base pour la publication de BETA. AU fur et à mesure que j’encrais j’ai pu publier des numéros, 8 en un an. La publication permet aussi de voir comment se travaille un livre, les marges, les bords perdus, etc. J’ai travaillé sur des formats A4 et B4, dont la mise à échelle finale va influer sur l’épaisseur des traits. La publication aide à mieux comprendre ces contraintes.

Tu évoques régulièrement cette idée de l’impermanence des choses. N’est-ce pas paradoxal de publier alors, de rendre permanents et figés tes récits/visions ? Le choix d’une publication sous forme de fanzine est-elle une sorte de dépassement de ce paradoxe, le fanzine étant par nature une publication éphémère ?

La notion d’impermanence me vient de ma période bouddhiste. Le fanzine est pour moi une étape, un passage entre le non-publié et être publié par des éditeurs professionnels. L’édition et sa régularité dans le cadre de BETA est aussi une carotte pour avancer, se bouger le cul. On sait que dans la BD la notion de série est importante : produire un volume par an en général, 2 voire 3 ou 4 pour les mangakas qui ont cette obligation pour conserver leur lectorat. Le fanzine fait 48 pages, ce qui permet de glisser 2 histoires de 24 pages, c’est un bon format. J’ai poussé jusqu’à 60 pages pour certains numéros, mais suis revenu à 48 qui est un format équilibré pour moi, une vitesse de croisière. L’impermanence c’est l’instabilité permanente des choses et des particules, confirmée par la physique quantique. Et la publication est un moment où l’on fige le présent, on passe du mental à l’action. Le fanzine est idéal pour çà.

D’une histoire à l’autre, tes styles graphiques évoluent. Est-ce un choix réfléchi ou c’était conjoncturel ?

Au Japon, la peinture zen bouddhiste m’a fortement inspiré pour certains chapitres. Du dessin au pinceau avec plusieurs lavis de gris. Pour d’autres j’ai utilisé les plumes G et maru de mangakas. Chaque style va évoquer des univers différents. Je suis un caméléon, en fait : je découvre un maître, Charles Burns par exemple, j’étudie son style, je le digère et il devient une partie de mon style. Je suis une éponge et puis ensuite ça ressort avec ma propre patte.

D’un point de vue plus philosophique, tes récits sont traversés par ce tourment de l’homme occidental écolo-conscient par rapport aux voyages et à l’interaction avec la faune sauvage : faut-il continuer à voyager et découvrir le monde ?

Vaste question existentielle… Ikigai, en Japonais signifie « raison d’être ». Ce pourquoi tu te lèves le matin. Pour trouver son ikigai, on remplit un schéma où figurent ta vocation, ta passion, ta profession et ta mission, ce qui te rend confortable, te satisfait, te fait douter, etc. Au croisement de toutes ces sphères, il y a l’ikigai. Le mien c’est protéger la Nature à travers mon moyen d’expression qu’est la bande dessinée, les histoires dessinées. J’en racontais déjà avec la photo. Quand j’étais vétérinaire, c’était pareil, je guérissais des animaux sauvages, puis des animaux des villes… Aujourd’hui, je suis très inspiré par le chamanisme qui a existé partout sur la planète, mais que les religions occidentales ont voulu détruire et remplacer. C’est très dommageable car le chamanisme, c’est la guérison énergétique et spirituelle de la planète, de la Nature avec un grand N, incluant animaux, végétaux, mais aussi humains, terre et esprits.

 

Exposition « Strange » à l’Alchimiste (Saint-Malo) jusqu’au 2 novembre

Site personnel : https://www.stephanebouillet.com/

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