Dominique de Beir, le pouvoir du point

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Trouer est une sensation
Trouer est une vibration
Trouer est un son
Trouer est une opération
Trouer est un contact
Trouer est une pression
Trouer est une brutalité
Trouer est une destruction
Trouer est une déconstruction
Trouer est un crevé
Trouer est un effondrement
Dominique De Beir, Une mise à jour, 2010.

Le point est la pierre angulaire du travail de Dominique De Beir. Le point non comme ponctuation d’un plan mais le point comme ouverture volumique. Le point comme orifice, passage étroit entre deux mondes.

Le point qui ponctue le plan, le constelle. Le point, le trou. Le trou altérant l’uniformité du plan, bordé de déchirures incarnées. La trouée : éclaircie qui permet de voir au-delà de la brume vaporeuse. Bosse ou boursouflure, le point est aussi saillant. Boursouflures égrainées qui viennent à faire signe. Par dizaines éparpillées font écriture. Braille. La tache aveugle, point central de la vision, prend corps. Paradoxe du geste de l’artiste : le point n’est pas tracé sur la matière, il n’est pas écriture par le geste. Le point est ici perforation. Perçage. Le point pénétrant naît dans une forme de violence. Talon aiguille ou bistouri c’est l’ablation de matière qui interroge. Le polystyrène martyrisé, le carton épluché, le papier griffé sont les bases plastiques. Mais, étonnamment, le résultat laisse se côtoyer grande finesse et trouées inégales dans un ensemble où l’harmonie naît de la répétition du geste.

Le trou c’est le vide. Le néant. Dominique De Beir interroge sa propre condition d’artiste, la met en et dans l’abyme : le néant est-il une forme d’art ? Son être « artiste » se construit-il à force de perforation, à force d’anéantissement du support ? Ou bien n’a-t-il toujours été qu’être en déconstruction ? Un einstuerzende neubauten pointilliste ? Dominique De Beir ruine ses œuvres en quelque sorte, elle inscrit le temps qui passe par un geste qui détruit et révèle, elle accélère l’espace-temps. Cherche le rythme universel.

Rien ne se perd, rien se crée, tout se transforme. Avec sa série Altération, Dominique De Beir semble faire sienne les lois fondamentales de la physique et de la chimie. Conservation de la masse : l’altération, la dissolution ne se conjuguent pas avec disparition et élimination, mais avec re-création et excrétion. De la matière meurtrie naît une nouvelle matière, réduite et densifiée. Colorée par oxydoréduction. Condensation irisée. Dominique De Beir propose une soupe primitive qui vous fait bouillonner le cerveau. Ici, naissent les succubes (Altération, 13 juillet 2015), les laves cordées incandescentes (Altération, 12 juillet 2014), les basaltes fuligineux dégazés (Altération, 10 mai 2015), les méristèmes végétaux (Altération, 27 mai 2014).

Le travail de DDB est inclassable : s’il est plastique, il n’est pas peinture, il n’est pas sculpture, il n’est pas seulement installation. Les frontières et les catégories sont abolies. Il s’agit d’un environnement à part. Un entre-deux vertigineux. L’idée subliminale d’une troisième dimension. L’ouvrage monographique publié aux Editions Hermann retrace vingt années de recherche sur le geste et sa trace.

Dominique De Beir, catalogue, Hermann, 2016

Dominique De Beir – l’interview Triple Vrille

Par Seitoung

– Dominique, ta série « Altération » laisse une place plus importante à la couleur, comment est né ce besoin de couleur ?

La couleur a toujours été présente dans mes recherches mais je donnais davantage à voir les teintes des matériaux bruts tels que le bleu du papier carbone, le rose du papier boucherie, le noir sérigraphié du carton affiche, le jaune du calque teinté, le blanc ou le brun du carton ondulé, le vert, le gris, le rose saumoné du polystyrène. Par différents procédés tels que l’injection et la projection au revers des supports, j’ai beaucoup associé à ces couleurs la gouache rouge et l’encre rouge, à mes yeux la couleur du sanguin et de la vitalité. Il y a aussi le jaune de la cire utilisée avec le papier ou l’isolant qui transforme la couleur d’origine.
Depuis l’installation de mon atelier en Picardie maritime, je réinterviens à la surface de mes supports avec des peintures vinyliques aux tonalités argentées, des gris, des bleus, des rouges …c’est autant la tonalité que la vibration, la réflexion provoquée par la couleur qui m’intéresse, une imprégnation et contamination peut-être du bord de mer de la baie de Somme.

– Ces œuvres sont moins abstraites que les précédentes, car on y devine rapidement des formes géologiques, des structures végétales, des entités biologiques… est-ce ta volonté de re-naturer les matériaux que tu utilises qui sont banals voire artificiels ?

Ce qui arrive se produit en général à mes dépends, il s’agit ensuite d’accepter ou de refuser le résultat. En ce qui concerne la série Altération, j’ai été indéniablement ravie quand des apparitions de textures évoquant le naturel se sont manifestées. Dans son journal sans dates, le peintre Bernard Réquichot a écrit : « ..Mes peintures: figuratives? non; abstraites? non plus. On peut y retrouver des cristaux, des écorces, des rochers, des algues; pourtant ces choses ne sont pas « représentées. »

– Quelle est ton actualité ? Une exposition, une résidence prochainement ?

Actuellement, Je participe à 2 projets liées aux artistes femmes, je suis nominée pour le prix Aware, invitée par Camille Paulhan, projet en collaboration avec le Ministère de la culture et à une exposition de groupe  »Peindre dit-elle » au Musée des beaux-arts de Dôle, les commissaires sont Julie Crenn, Amélie Lavin et Annabelle Ténèze. Nous savons toutes et tous que la qualité d’un travail plastique ne repose pas sur le genre de l’artiste mais parfois il est bon d’insister sur certaines failles, par exemple le manque manifeste de visibilité des artistes femmes.

Plus d’informations :

Commander l’ouvrage « Dominique De Beir »
http://www.dominiquedebeir.com/
http://www.friville-editions.org/

Planche dentelle, Galerie Jean Fournier
Altérations

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