Introduction pour le livret de l’exposition de Peggy Viallat-Langlois (Chapelle Saint-Sauveur, Saint-Malo, 11 mars – 1er mai 2023)
Un parcours de vie, voilà l’invitation que nous lance Peggy Viallat-Langlois à la chapelle Saint-Sauveur. De l’enfance faussement innocente, fête triste où chaque individu se construit sous la contrainte (parentale, scolaire), elle nous amène via un monde imaginaire peuplé de chimères à cette vraie-fausse délivrance qu’est le passage à l’âge adulte.
Peggy Viallat-Langlois anime ses toiles d’un coupé-décalé paradoxal : rendre grave ce qui est censé être léger (l’enfance), magnifier les interstices de liberté qui se glissent dans le carcan social et professionnel de l’âge adulte. Ce parcours, jonché de rites de passage qui peuvent tenir de l’ordalie, s’incarne dans les techniques et formats employés, et dans la justesse des compositions picturales dont le sens du détail signifiant caractérise depuis toujours le travail de Peggy : enfants aux yeux clos, visages tavelés (tuméfiés ?), suggérant le bouillonnement intérieur infantile que les normes sociales, dans toute leur brutalité collective, refusent de voir s’exprimer. « Voir, c’est fermer les yeux » disait Wols, un des pionniers de l’art informel. C’est encore un des paradoxes de Peggy Viallat-Langlois. Si techniquement elle est à l’opposé des recherches informelles de l’après-guerre, philosophiquement elle en partage les mêmes idées : le constat qu’horreur et beauté se mélangent sans cesse, ce qu’elle transcrit avec la même magnificence et somptuosité que les pionniers de l’abstraction lyrique. L’énergie du geste nerveux qui recouvre la toile exprime bien l’horreur du figé, du définitif, du stable. Pour elle, comme les « Informels », tout est changement insaisissable : le monde des apparences n’est qu’un leurre. D’où le dispositif-pivot que constituent les chimères et vanités, entre rêve effrayant et cauchemar fleuri, sculpture monstrueuse mais diaphane et peintures surchargées de matière, profusion étouffante comme les contes d’enfant où la cruauté et le sadisme se distillent constamment le long d’une aventure soi-disant sucrée. Comme chez le Dubuffet de la fin des années 1940, le fond doit vivre, participer à l’action, concurrencer le sujet, la matière devenant sujet elle-même. « Après la fête » est le troisième acte de ce premier parcours : celui de la libération des envies et désirs, de l’épanouissement personnel. Cette délivrance de l’adulte qui se traduit par des couleurs vives et éclatantes, flashy même ; des personnages plus dynamiques, des regards effrontés à l’opposé de cette supposée fête que serait l’enfance – dont les jouets ou les autoportraits en clown triste font figure de réminiscence.
A ce parcours en trois actes qui renverra chaque spectateur à sa propre vie, s’ajoute la série « Littérature », celle qui est finalement la plus intime pour l’artiste puisqu’elle y évoque son cheminement personnel, fait de rencontres, de collaborations (les livres d’artistes) et de lectures. Les dessins sont bruts et se racontent de manière littérale, jusqu’aux grands fusains des déesses qui, par une pirouette, renvoie à la mythologie classique, première source de fascination et de frayeur littéraire alimentant l’imaginaire de l’enfance.
Que cherche à nous dire Peggy Viallat-Langlois ? Rien d’autre que : soyons des adultes libres de penser et agir, regardons en face nos peurs viscérales et libérons nos enfants et nos tourments de l’enfance. Montons au front trouver le soleil ou regardons celui qui brille chez l’autre, l’enchantement collectif passera par cette ouverture au monde de chacun d’entre nous.
Samuel Etienne